Adieu Gary
Rehaussé du Grand Prix de la Semaine de la Critique obtenu à
Cannes, Adieu Gary, premier
long-métrage de Nassim Amaouche,
semble concentrer toutes les louanges et susciter les dithyrambes. Il est mentionné
à peu près partout lexpression dune poésie tendre et humaine, mise au service
de la trajectoire de quelques personnes abandonnées à leur cruel sort près de
leur usine désaffectée, rongées par lennui et lattente de jours meilleurs. On
parle aussi ici et là dun western moderne, aérien et fragile. Bref dun
excellent et excitant film. Sans mettre en doute les évidentes bonnes
intentions de son jeune réalisateur, Adieu
Gary nous laisse sur notre faim, ne laissant jamais se développer la
moindre scène, enfilant les uns après les autres des moments volés à la plate
existence dun groupe de villageois pour lesquels nous narrivons jamais à nous
prendre daffection, encore moins dempathie.
En dépit dun format court, à peine 75 minutes, Adieu Gary donne limpression de pêcher par excès (de bons sentiments jusquà la nausée) et par accumulation de tous les poncifs censés illustrer les maux de la société actuelle. A côté de la trame centrale la déconstruction dune usine il est aussi évoqué la prison, la drogue, les expérimentations pharmaceutiques, lexode rural, labsence du père, la religion musulmane et, en corollaire, la situation dune communauté arabe clouée dans un coin sinistré, que ni le retour fantasmé au bled, honni par la génération précédente, ni les promesses de lendemains qui chantent à la capitale ne permettent darracher durablement à une époque irrévocablement révolue.
Nassim Amaouche ne fait pas grand-chose du décor quil investit. Pourtant cette longiligne cité blanche ardéchoise, baignée dune lumière aveuglante, balayée par un vent sec soulevant la poussière, contient en elle tous les ressorts dramatiques et se prête en effet à merveille à jouer avec les codes du western. Le réalisateur, de peur que cette option ne soit pas appréhendée par le spectateur, la surligne en introduisant un cow-boy de pacotille, dont lirruption malgré son côté féérique et onirique frise le ridicule. Il y avait aussi de la matière à approfondir les relations conflictuelles entre Francis, le père, ouvrier viré, croyant dur comme fer aux vertus du syndicalisme campé par Jean-Pierre Bacri dans un registre usé jusquà la corde et ses deux fils, rêvant à dautres horizons, mais occupant des emplois mal payés et dévalorisants au supermarché local. Plutôt que de creuser ce filon quun Pialat aurait sondé jusquà la moelle Nassim Amaouche diversifie son histoire, en y introduisant lélément féminin la voisine Maria, interprétée par la toujours excellente Dominique Reymond, qui entretient une relation clandestine avec Francis. Laquelle Maria ne se résout pas à parler à son propre fils José, adolescent mutique guettant à nen plus finir le retour hypothétique de son géniteur, le fameux Gary du titre.
Nassim Amaouche se targue davoir voulu faire un film en prise directe avec la réalité sociale, tout en lui imprimant un univers personnel, éloigné des représentations habituelles de ce type de sujet. En cela, il a parfaitement raison de rechercher une esthétique qui serait en décalage avec notre attente. Hélas, il apparaît sans conteste quil ny parvient pas réellement, échouant à sapproprier toute une mythologie a contrario, Alain Guiraudie excelle dans cet art et à imposer son point de vue. Adieu Gary ne finit que par véhiculer des bons sentiments : la réconciliation intergénérationnelle est en marche autour dune machine réparée mais où donc est allé pêcher le réalisateur cette idée saugrenue quun ouvrier viré pouvait continuer à faire ses petites affaires dans son ancien atelier ! et le village endormi et anesthésié sort de sa torpeur par la résurgence de bruits davant, porteurs des stigmates dune époque bénie.
Nullement ambigu, ne réussissant pas à se hisser à la hauteur de ses intentions, véhiculant une idéologie somme toute douteuse, où langélisme et la mièvrerie se taillent la part du lion, Adieu Gary en devient ennuyeux et convenu, juste utile à donner bonne conscience.