Black Swan

Publié le par Patrick Braganti



« C’était parfait » s’extasie à la fin de la représentation du Lac des cygnes (qui marque simultanément celle de Black Swan) la danseuse étoile Nina. Qu’aimerions nous partager cet enthousiasme autoproclamé, après avoir dû supporter pendant presque deux heures une caricature hallucinante du milieu de la danse, et son cortège de clichés associés, et une parodie grand-guignolesque, et pour tout dire très drôle à force de grotesque, de cinéma fantastique !  Pour traiter du sujet passionnant de la recherche à tout prix de la perfection, était-il besoin d’installer un personnage souffrant d’une double pathologie schizophrène et d’identification qui lui fait de toute évidence perdre pied avec sa propre perception de la réalité ? Avant d’être choisie pour le rôle titre par un chorégraphe machiavélique et manipulateur, dont on a peine à entr’apercevoir en quoi sa vision du ballet de Tchaïkovski est novatrice et viscérale, et donc d’interpréter la double prestation des cygnes blanc et noir, l’ambitieuse Nina ressemble d’abord à une oie égarée, couvée par une mère possessive, qui la cantonne dans un cocon irréel (la chambre de Nina ressemble à une chambre de petite fille). La confrontation à la réalité, qui est ici celle des rivalités entre danseuses et des manœuvres calculatrices du chorégraphe, s’avère d’autant plus âpre.

 

Darren Aronofsky, cinéaste à la réputation sulfureuse, mais avant tout cinéaste de l’effet si appuyé qu’il en devient contre-productif, filme ainsi Nina chez elle, Nina aux répétitions et se rend compte très vite que cela ne va pas suffire, et opte ainsi pour une bifurcation qui amène Black Swan au gore le plus sanglant. Un basculement vers un grotesque risible qui se situe très précisément au moment où un vieux libidineux, mais fort bien vêtu, se tripote dans le métro face à Nina. Dès lors, le réalisateur de The Wrestler accumule les scènes émoustillantes : la danseuse se caressant sous la couette, l’épisode saphique à l’arrière du taxi, puis dans le lit de Nina. Outre l’ennui suscité, car la mise en haleine provient uniquement de l’atmosphère anxiogène qu’installe à grands renforts d’effets et de bruitages le réalisateur, et non pas de l’intérêt à suivre l’histoire, c’est aussi la convention brandie comme étendard d’un point de vue qui désole. Manifestement, Darren Aronofsky échoue à capter ce qui se joue au cœur même d’un ballet et des séances de mise au point puisqu’en rien est perceptible leur évolution, et encore moins le projet du chorégraphe. Il est étrange et paradoxal que le film soit autant dépourvu de grâce et de beauté, s’ingéniant à produire une image sale et granuleuse, investissant des endroits sordides aux éclairages blafards, avec là encore une utilisation très appuyée des contrastes entre noir et blanc. Le cinéaste semble prendre un malin plaisir, mais pas nous, à suivre sa comédienne de dos, caméra à l’épaule. Si Natalie Portman accomplit une performance, elle se situe pour l’essentiel dans l’effarouchement et la peur panique qui caractérisent son personnage, mais certainement pas dans une palette de registres, résumés ici aux pleurnicheries et aux regards ahuris. Quant à Vincent Cassel, il n’a rien d’autre à jouer qu’un créateur agacé et narcissique.

 

Il y a peu, nous pouvions voir un excellent documentaire intitulé Pianomania (réalisé par Robert Cibis et Lilian Franck) dans lequel la recherche de la perfection empruntait des voies autrement plus sereines, passionnantes et efficaces. Dans Black Swan, la démarche et les motivations d’une Nina que l’on perçoit rapidement comme dérangée nous restent lointaines, ce qui ne nous aide pas dans une quelconque empathie pour son personnage. La mise en scène outrancière, multipliant les citations et les références (Roman Polanski, David Lynch et Michael Powell) privilégiant la superficialité et l’épate à grosses ficelles, sauve en toute logique le film d’une vacuité totale, mais au final, Black Swan se rapproche davantage de l’opéra-bouffe avec sa kyrielle d’exagérations et de boursouflures que d’une authentique et aboutie tentative opératique.

Publié dans Acceptable

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article