Cosmopolis - David Cronenberg

Publié le par Patrick Braganti

affiche-copie-60Lorsque l’auteur américain Don DeLillo publie en 2003 son treizième livre Cosmopolis, les attentats du 11 septembre ont déjà eu lieu mais personne, ou très peu, ne soupçonne la crise financière dévastatrice qui surviendra cinq ans plus tard et signera la fin d’une époque, sinon celle du capitalisme financier et l’ère des traders omnipuissants et multimilliardaires. Dans ce sens, il faut reconnaître à l’écrivain des qualités indéniables de visionnaire et d’analyste qu’il a mises au service d’un récit conceptuel, narrant la traversée en limousine de New York d’Éric Packer, 28 ans et richissime, en quête d’un coiffeur alors que le Président est en visite et qu’une star noire du rap est inhumée.

 

On devine sans peine ce qui a attiré l’attention du réalisateur canadien David Cronenberg dans la vision apocalyptique imaginée par Don DeLillo faisant de son héros une sorte de robot déshumanisé, parfaite incarnation du représentant d’une couche infime de la population mondiale, celle du millionième le plus puissant et le plus riche. Celle aussi de personnes sans le moindre lien avec la réalité perçue essentiellement au travers des vitres opacifiées de l’immense véhicule blindé et insonorisé qui se déplace lentement et à l’abri des bruits et des soubresauts du dehors comme un luxueux et terrestre vaisseau spatial. C’est d’abord à une œuvre de science-fiction, ou pour le moins d’anticipation, que fait penser le dernier long-métrage du réalisateur de Crash – film, il faut ici s’en souvenir, adapté lui aussi d’un roman, celui de l’anglais James Graham Ballard, autre grand écrivain de l’apocalypse et des dysfonctionnements de la société de consommation. Le temps des 24 heures de la dérive existentielle de l’homme d’affaires surpuissant n’est pas à proprement daté et de nombreuses références jouent avec l’anonymat (le Président, le Centre évoqué à plusieurs reprises).

 

Le film pour ainsi dire se construit en deux parties : d’abord l’errance entrecoupée de rendez-vous à l’intérieur de la limousine, puis deux scènes finales extrêmement longues et bavardes, pour ne pas dire ennuyeuses et à peu près incompréhensibles.  Force est d’avouer que les propos qui émaillent l’ensemble – dont ils constituent d’ailleurs la majeure partie, tant Cosmopolis s’apparente à un cours laborieux de sciences sociales et politiques – restent souvent abscons et fumeux, même s’il est tout à fait possible d’en saisir les grandes lignes et les thèses ainsi avancées. À Éric Packer, qui semble tout posséder, pouvoir tout s’offrir et décider aussi du sort de milliers d’individus, seule la maladie – avec son corollaire direct, la mort – apparait comme effroyable tout comme la maîtrise du temps lui semble-t-elle aussi indispensable. C’est pourquoi confesse-t-il éprouver tant de bonheur à s’asseoir (dans sa voiture agrandie et customisée en évident symbole phallique) et à discuter, avec sa femme, des putes, un chef de la théorie, une marchande d’art… Dans cette succession de pauses et de conversations oiseuses, alors que les émeutes éclatent à l’extérieur, le film trouve sans conteste un rythme. La mise en scène y est pour beaucoup dans sa précision clinique à découper les plans et à scruter le terne Éric – à cet égard, le choix de l’acteur Robert Pattinson sans réel charisme s’avère opérant – et ses étranges visiteurs. David Cronenberg renoue là avec l’étrangeté et le dérangeant qui firent la marque de ses meilleures productions.

 

On regrette d’autant plus que le dernier tiers du film soit consacré à deux longues et pénibles séquences dont on attend avec une impatience croissante l’épilogue très prévisible. Là aussi, dans ce vieux salon de coiffure ou dans cet appartement vétuste et dévasté, on retrouve la patte du cinéaste, mais la qualité de la réalisation ne suffit hélas pas à masquer la prétention et l’indigence des dialogues. Peut-être faudra-t-il se défaire de cet agacement passager et reconsidérer ultérieurement, avec apaisement et recul, Cosmopolis dans son intégralité, car il est indéniable qu’il présente bien des avantages et constitue, au final, une véritable proposition de cinéma, l’expression sans doute sujette à controverses d’un authentique auteur qui livre une version personnelle, mais fidèle, du livre de Don DeLillo.

 

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Publié dans Appréciable

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