Même la pluie

Publié le par Patrick Braganti



Sous prétexte de se pencher sur des thématiques passionnantes : la mission du cinéma comme le vecteur de la révélation et de la divulgation des maux du monde, la cohabitation de sentiments contradictoires comme la conscience, l’intégrité ou le cynisme et l’opportunisme, la réalisatrice et scénariste madrilène Icíar Bollaín ne parvient pas avec Même la pluie à livrer autre chose qu’un film terne, multipliant les invraisemblances et faisant preuve à la fois d’un manichéisme simpliste et d’un angélisme navrant qui impriment à son long-métrage un aspect consensuel et tire-larmes, à la recherche d’émotions faciles, qu’il finit par susciter d’évidence.

 

Pourtant l’idée de départ est accrocheuse : l’équipe d’un film relatant les premières arrivées de Christophe Colomb sur les terres du Nouveau Monde s’installe à Cochabamba dans les montagnes boliviennes et se retrouve confrontée, puis étroitement mêlée, à des émeutes de la population s’opposant aux autorités locales et à la multinationale désignée pour gérer la concession des eaux qui leur est défavorable. On devine aisément les passerelles que jette un tel scénario : entre deux époques, deux communautés : celle très cynique et matérialiste du cinéaste et de son producteur, flanqués de leurs comédiens et techniciens, soudain rapprochée de celle des autochtones en lutte, dont certains ont été recrutés à moindre coût pour faire partie du générique. Hélas cette dualité fondatrice tombe vite à plat. Le principe du film dans le film, pour attrayant qu’il puisse paraître, nécessite pour le coup deux traitements esthétiques qui permettent de différencier l’histoire principale et le tournage qui lui sert de toile de fond. Hormis les artifices logiques des costumes et des éléments de décor, les cadres et surtout la photographie convergent, provoquant une impression désagréable de flou et d’indifférenciation. Mais, pis encore, l’accumulation des clichés et des bons sentiments effraie : du comédien vedette grande gueule et ivrogne au producteur mesquin, à la rédemption aussi soudaine que risible, la réalisatrice du plus convaincant Rabia ne se débarrasse jamais ni des lieux communs ni des bons sentiments qui finissent par affadir le propos.

 

Le projet du film en tournage, retraçant aussi la révolte et l’émancipation des Indiens refusant aux XVe et XVIe siècles la domination espagnole, sous-entendrait la personnalité forte et charismatique d’un cinéaste suffisamment engagé, au moins ébranlé par les événements violents auxquels il assiste, ne serait-ce que par rapport aux conséquences qu’ils signifient pour lui. D’ailleurs, on saisit de plus en plus qu’il ne s’agira que d’une sorte de grosse production censée lui apporter la célébrité, nullement un brûlot revendicatif à des desseins de dénonciation. Au-delà même de sa plate mise en scène, versant dans le pathos, en oblitérant les véritables enjeux pour les réduire à des vignettes folkloriques, Même la pluie se révèle une cruelle déception et une amère désillusion pour tout cinéphile digne de ce nom : ainsi l’art qu’il chérit et place au-dessus de tout serait devenu inapte à assumer sa fonction politique et sociale pour se cantonner à celle, autrement plus restrictive, du divertissement standardisé. A l’heure des embrassades finales, symptômes lénifiants d’une réconciliation hasardeuse, donc suspecte, le septième art ne tire décidément aucune épingle d’un jeu pipé et convenu. Dont on sauvera néanmoins, avec le double plaisir de son statut et de sa représentation à l’écran, le magnétique Carlos Aduviri.

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