Mères et filles
Il nest pas inconcevable dattribuer un public spécifique à
un film. Cest dailleurs une des règles de base mises en pratique par ceux en
charge de promouvoir le cinéma aujourdhui. On peut regretter à juste titre
cette catégorisation, qui enferme par contrecoup le spectateur dans un carcan
ou un système de pensée prémâché. Avec de telles politiques, on nest pas prêt
douvrir les yeux et délargir les horizons dun public de plus en plus
frileux, de moins en moins curieux, se précipitant sur le film le plus
médiatisé du moment. On anticipe avec une frayeur nullement feinte la prochaine
déferlante médiatique à propos du nouveau Jean-Pierre Jeunet et on a déjà vu
ici et là une bande-annonce du biopic consacré à Gainsbourg. Outre quelle ne
sarrête jamais et donne limpression dun emballement irrépressible, la
machine commerciale cible pour chaque film un public précis et identifié,
minimisant tout effet de surprise et garantissant une réception critique, voire
publique, à peu près prévisible.
Cest réellement la sensation principale qui transparaît en voyant Mères et filles, troisième long-métrage de Julie Lopes-Curval. De par son sujet et sa facture, ce film semble sadresser avant tout aux femmes, quelles soient mères ou filles. Sujet articulé autour de la trajectoire de trois femmes : Louise la grand-mère qui a quitté le foyer en abandonnant ses enfants, Martine sa fille qui ne lui a jamais pardonné et sest construite contre elle en devenant une femme dure et sèche, elle-même mère dAudrey, jeune femme exilée à Toronto, hantée par le passé et lhistoire de cette disparition mystérieuse et demeurée inexpliquée. A loccasion dun retour en France pour des vacances chez ses parents, Audrey déterre le passé.
Mères et filles déploie en effet un beau thème, même sil nest guère nouveau. Le poids de la famille, limportance des racines et la relation entre mère et fille. Les femmes qui nous sont montrées ici se singularisent par leur rigidité, leur sécheresse et leur incapacité à se parler, arc-boutées sur leurs positions, incapables découter lautre. Louise, traitée ici comme un fantôme aux apparitions vraiment mal maîtrisées, exprime la soumission à un mari autoritaire, refusant à son épouse la moindre velléité dindépendance. Cest encore lépoque où une femme a besoin de lautorisation de son mari pour ouvrir un compte en banque. Farouchement indépendante, ayant pris en horreur une mère qui lui faisait honte, Martine est devenue médecin, en semmurant dans une attitude autocratique dont son entourage (mari, frère et fille) constitue la principale victime. Visiblement, la communication passe mal entre Martine et Audrey. Cette dernière, belle jeune femme à la voix frêle et à la volonté mal assurée, semble guetter lapprobation perpétuelle de Martine, qui la rejette et la houspille. Face à ces femmes, les deux hommes de la famille sont animés à linverse par davantage de sentiments qui les rendent humains et attachants. Car, à force de vouloir mettre en scène une société qui fut stricte et rigidifiée, puis claquemurée dans ses positions, la réalisatrice de Bord de mer recouvre son film dun apprêt qui lamidonne et tue toute possibilité démotion. Ce parti-pris en soi intéressant finit néanmoins par se retourner contre elle puisquau final Mères et filles sent bon la naphtaline, en promouvant une idée plutôt surannée du cinéma.
En 2006, en mettant lui aussi en scène trois générations de femmes et en faisant resurgir du passé un fantôme, Pedro Almodóvar signait avec Volver un chef-duvre. Nous en sommes bien éloignés : les apparitions de Louise transpirent lartificialité, paraissant seulement justifiées pour imposer Marie-Josée Croze (et la participation financière du Québec ?). A part lors de quelques scènes de repas, lincarnation fait cruellement défaut au film ; les échanges entre Martine et Audrey autour dune tasse de thé, par exemple, sonnent faux et la conviction ne semble pas avoir touché Marina Hands qui donne limpression dânonner son texte, pour partie en anglais.
La volonté de sobriété annihile toute éventualité dinventivité et tout élan démotion. Le partage des critiques entre avis positifs féminins et opinions neutres ou négatives masculines confirme le postulat : il faut être mère et/ou fille pour trouver un minimum dintérêt à ce film sage et appliqué.