Un si beau voyage
Mohamed, surnommé « Momo » par ses amis, vit seul en
banlieue parisienne dans une chambre dun foyer pour travailleurs. En retraite
anticipée, pour raison de maladie, il se voit mis par le directeur du centre
dans lobligation de quitter lendroit. Alors que son état se dégrade il est
saisi de violentes douleurs au ventre qui le condamnent à brève échéance
Mohamed prépare en secret son retour en Tunisie où il nest plus allé depuis
quinze ans. Lhomme à lélégance raffinée et au verbe rare, volontiers
sentencieux, se sent étranger en France, où son histoire damour avec une
espagnole ne sest pas prolongée, comme en Tunisie où il sest fâché avec son
frère. Ce retour aux sources, cest bien sûr le voyage vers la fin, vers la
mort et le renoncement.
Pour traiter de ce
sujet délicat, le tunisien Khaled
Ghorbal choisit de prendre son temps en offrant une vision profondément
poétique et humaniste des derniers jours dun homme fatigué par la vie. En
effet, Un si beau voyage dure 2h17 et
privilégie létirement du temps et des scènes. Le film se divise en deux
parties, probablement à limage de Mohamed clivé entre deux cultures et deux
modes de vie. La partie française emploie les codes du documentaire, nous
exposant ce quest la vie dun homme seul en foyer : importance des amis
dans une situation identique, entraide, préparation des repas pris en commun,
promenades dun pas régulier le long de la Seine. Dépouillée de tout effet,
portée par le jeu sobre et rentré de Farid
Chopel il succomba un an après le tournage dun cancer foudroyant, ce qui
donne une résonance touchante au film cette partie est la plus réussie. La
deuxième en Tunisie ne semble se résumer quà une longue pérégrination qui
conduit Mohamed de Tunis jusquau désert, où il se rend seul, juste accompagné
dun chameau. Pour allégorique et élégiaque quelle soit, la dernière
demi-heure dUn si beau voyage produit
hélas plus dirritation que dempathie pour un homme avec lequel on aimerait partager
cette douleur indicible à mourir, cette impossible résignation. A le voir gémir
et se recroqueviller, on comprend que le détachement du monde et des hommes ne
lui apporte aucun soulagement, que limmensité et le silence du désert ne laident
pas à trouver la sérénité et la paix intérieure.
En 2001, Khaled Ghorbal avait réalisé Fatma, un premier long-métrage grave et
aérien sur les contradictions dune société tunisienne tenaillée entre
traditions et modernité. Le personnage de Mohamed est lui aussi un être
écartelé à qui ses années de labeur en France nont même pas permis de quitter
sa chambre minuscule et modeste. Exilé dans son pays dorigine le film
parvient en quelques flashs rapides à pointer du doigt les problèmes dans
lesquels se débat le pays Mohamed le choisit néanmoins comme dernier lieu.
Testament poignant
laissé par Farid Chopel, qui trouve
là son plus beau rôle, Un si beau jour
souffre dune longueur qui finit par lui nuire en amoindrissant la portée du
sujet. Dommage car le film offre par ailleurs des instants de pure émotion et
sait rendre attachant un homme mystérieux et complexe, séclipsant comme un
fantôme gracieux sous un vent de sable.