La Dame de trèfle
Avec La Dame de trèfle,
son quatrième long-métrage, le trentenaire Jérôme
Bonnell aborde des nouveaux rivages, ceux du polar, sans par ailleurs
renoncer à ce qui a jusquà présent caractérisé son cinéma intimiste,
territoire de lauscultation fine des relations amoureuses et amicales entre des
personnages souvent à la dérive. Comme dans Le
Chignon dOlga, le réalisateur renoue avec la double figure du frère et de
la sur, à la différence quils sont ici orphelins de père et de mère,
partagent la même maison, se protègent réciproquement dans une relation
fusionnelle et exclusive, sorte de prison affective qui empêche chacun de vivre
sa propre existence.
Alors quArgine (nom de la reine figurant sur la carte de la dame de trèfle) cherche en vain un travail et tente dapprendre langlais, tout en se montrant légère et aguicheuse avec les garçons qui fréquentent le bar local, Aurélien, plus sage et renfermé, en plus de son job de fleuriste, écoule des métaux volés. Léchec du dernier cambriolage et la réclamation de sa part par un des comparses vont produire un engrenage dévénements violents et fatals.
La noirceur appuyée de lintrigue et limmoralité qui lentoure peuvent décontenancer le spectateur habitué des ambiances plus paisibles du réalisateur de Jattends quelquun. La tension dramatique doublée à linéluctabilité terrifiante des faits va néanmoins révéler la vraie nature de chacun. Le charme de La Dame de trèfle réside en la force de ses personnages : Florence Loiret-Caille imprime à Argine un instinct salvateur et une vitalité énergique, à peine ébranlée par lavortement quelle accepte, en la seule présence de son frère. Cest le toujours délicat et complexe Malik Zidi, mélange de candeur, dinnocence et dopacité troublante et équivoque, qui prête ses traits juvéniles au personnage pivot dAurélien, garçon qui essaie de sen sortir tout en cachant à sa sur, pour mieux la préserver, la tragédie en train de se jouer.
Fidèle à sa troupe de comédiens Nathalie Boutefeu, Judith Rémy et Marc Citti occupent des seconds rôles Jérôme Bonnell lest aussi dans lapproche empathique, attentionnée et sensible de ses personnages. Plus que des salauds ils sont dabord les victimes de mauvaises circonstances et de hasards malheureux. Aurélien doit bien affronter sa propre violence pour distendre les liens de sang qui entravent son avenir et son développement. La Dame de trèfle conjugue avec subtilité et bonheur le réalisme le plus cru à une atmosphère nocturne et étrange et confirme ainsi que Jérôme Bonnell réussit parfaitement à défricher de nouveaux terrains.