Les Herbes folles
En 2009, alors quil atteint 87 printemps, Alain Resnais revient avec Les Herbes folles, une comédie légère et
fantaisiste, en opposition à Curs
(2006), film plus grave et plus mélancolique. Mais, chez le réalisateur de Providence, ce nest certainement pas le
genre auquel on peut associer ses longs-métrages qui importe, mais la profonde
unité qui finit par se dégager dune uvre protéiforme, prenant un malin
plaisir souvent communicatif à jouer avec les codes traditionnels de la
narration au cinéma. Homme curieux, à la jeunesse desprit presque insolente,
passionné de bandes dessinées comme de littérature ou de théâtre, son long
parcours se caractérise par des rencontres fécondes (Marguerite Duras et Alain
Robbe-Grillet pour les plus emblématiques) mais aussi par le défrichage
ininterrompu de nouvelles pistes et de territoires vierges, où linfluence du
surréalisme rejaillit sur la distanciation revendiquée et la polyphonie des
registres.
En adaptant le roman LIncident de Christian Gailly, auteur vouant une passion au jazz (le livre le plus connu de cet écrivain minimaliste étant Un soir au club), Alain Resnais identifie dans cette histoire débridée et absurde reposant sur un fait mineur : le vol dun portefeuille les rouages propres à la transposer à lécran, tout en pouvant y exprimer ses lubies habituelles. Une fois encore, la trame futile nest ici quaccessoire, étant juste au service dune vision artistique complètement assumée. Cest sans doute le type de narration choisi et la mise en abyme (des voix off) qui en découle qui retient le plus lattention. En effet, les différentes péripéties qui émaillent la survenue de lincident et de ses inattendues et rocambolesques conséquences, tout comme les repères biographiques des personnages, sont rapportées par un narrateur (Edouard Baer invisible à lécran possède le ton parfait, décalé et joueur) loin dêtre omniscient, si on en juge par ses hésitations et ses bifurcations. La mise en place de la situation et des deux protagonistes : Marguerite Muir se fait subtiliser son portefeuille, retrouvé ensuite par un certain Georges Palet, qui commence à élaborer pas mal de suppositions et à faire fonctionner une imagination débordante, se révèle la partie la plus jubilatoire (et réussie, nous semble t-il) des Herbes folles. Construction brillante bâtie sur la parenthèse et la bifurcation, la référence à différentes temporalités, les mouvements de caméra virtuoses et linstallation dunivers terriblement chic Resnais a toujours été séduit par le british way of life létayent avec un talent incontestable. Dans les deux premiers tiers du film, rythmés et infiniment élégants, on va de surprises en rebondissements, submergés par la fantaisie et linventivité du cinéaste. Les tempos jazzy soulignent et habillent cette déferlante pleine de vitalité, provoquée par lobstination des héros à accomplir des actions incohérentes seulement motivées par lappel (fantasmé ou réel) dun désir à jouir.
Nous verrons finalement à quoi peuvent conduire des actes frénétiques et irrationnels, même sil nest pas question de trancher dans le vif, mais au contraire de nous conduire sur des chemins mystérieux, où lénigme grandit et se referme sur linexpliqué. Ultime pirouette dun créateur en roue libre, poursuivant sans lâcher prise la création dune filmographie cohérente et toujours excitante. Exigeants que nous sommes envers ce grand jeune homme (qui parvint même à se moquer de cette remise incongrue dun prix exceptionnel à Cannes cette année), nous formulerons quelques réserves sur le format trop long du film, qui aurait gagné à être amputé dun quart dheure, et sur quelques rôles secondaires inconsistants (Josepha la collègue de Marguerite, notamment) qui natteignent pas lampleur des deux principaux, tenus de main de maître par une paire de comédiens, André Dussollier et Sabine Azéma, malicieux et espiègles, à la complicité amicale.