J. Edgar - Clint Eastwood

Publié le par Patrick Braganti

affiche-copie-5La personnalité complexe de J. Edgar Hoover, mégalomane, ambitieux, manipulateur et castré par une mère ogresse satisfaisant à travers le destin de son fils son propre appétit de réussite et de reconnaissance méritait sans conteste mieux que le film plat, terne, d’un classicisme empesé, sentant la poussière et la naphtaline, que livre aujourd’hui le (trop ?) prolifique Clint Eastwood. Se présentant comme une succession de flash-back dont la principale utilité se limite à prouver le talent des monteurs et des maquilleurs, s’échinant à transformer en momies décaties les comédiens, puisque, par ailleurs, ces incessants et virtuoses allers-retours entre passé et présent n’attestent pas de la moindre évolution, hormis physique, du directeur du FBI, le film fait la part belle aux premières années du mandat de Hoover – qui dura 48 ans et ne connut pas moins de huit présidents. Hoover y est dépeint comme un obsessionnel, un as du classement et, surtout, du fichage, mettant en place les fondations de ce qui allait devenir le FBI.


Le film s’attarde longtemps sur l’affaire du bébé Lindbergh, qui déboucha sur la promulgation d’une loi faisant du kidnapping un délit et permit conjointement de mettre au point des méthodes scientifiques pour rechercher les coupables (longues digressions sur l’analyse de l’écriture et des entailles faites dans des planches de bois). On passe ensuite directement aux années Kennedy, puis Nixon, en faisant l’impasse sur l’action du FBI et de son directeur pendant la Seconde Guerre mondiale avant d’entamer une dernière demi-heure resserrée sur Hoover et son adjoint Clyde Tolson, au sujet desquels la rumeur a colporté que leurs relations débordaient largement du cadre professionnel. Autrement dit, Hoover aurait été homosexuel, une option que le réalisateur de Mystic River reprend ici à son compte, faisant de l’homme un refoulé, inapte à assumer ses penchants, tyrannisé par une mère soupçonneuse lui jetant en pleine figure qu’elle préférerait un fils mort plutôt qu’un fils de la jaquette. Dès lors, le besoin irrépressible de Hoover à collecter des informations sur la vie privée des autres, de l’épouse de Roosevelt à Martin Luther King, en passant par les stars hollywoodiennes, ne cachait-il pas celui plus secret et obscur de détourner l’attention sur sa propre existence privée ? On apprend à la toute fin du film que Hoover n’hésitait pas à réécrire sa vie, à se donner le beau rôle lors d’affaires retentissantes (l’arrestation du meurtrier de l’enfant Lindbergh, l’assassinat de Dillinger) et on aurait aimé que la mythomanie de l’homme soit davantage abordée. Plus largement, on aurait apprécie qu’Eastwood fouille l’âme tourmentée de son héros, et qu’il passe ainsi moins de temps à mettre en scène des séquences répétitives sans réel intérêt.


Le film ne s’incarne vraiment que par endroits : la lutte physique entre Hoover et Tolson, la mort de la mère et les derniers instants, mais là le film verse dans le mélo dégoulinant de mièvrerie. La dimension fascinante et malveillante du personnage ne nous est accessible que par instants, par exemple lorsqu’il passe en revue la crème de ses agents, n’hésitant pas à se séparer de l’un ou l’autre pour des motifs bénins. Plus qu’une œuvre personnelle, exposant un point de vue qui fait pour le coup cruellement défaut, (comment juger de la manie de Hoover à espionner et violer la vie privée de toutes les personnalités importantes du pays) J. Edgar s’avère un cours d’histoire instructif, mais terriblement étiré et ennuyeux, incapable au final de percer la carapace d’un des hommes les plus intrigants et controversés du vingtième siècle.

 

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Publié dans Aimable

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