Jaffa
En 2004, Mon trésor,
le premier film de Keren Yedaya, avait
obtenu une justifiée Caméra dOr. Cinq années plus tard, celle-ci nous revient
avec un long-métrage cette fois situé à Jaffa, qui continue à ne pas vouloir
faire du conflit opposant Palestiniens et Israéliens le sujet majeur, même si
ici ce sont bien la rivalité et lincapacité à vivre ensemble qui sont à
lorigine du drame. Avant léclatement, Jaffa
démarre néanmoins sous les meilleurs auspices puisquil y est dabord question
damour. Etrangement ce nest pas celui que porte Mali, une jeune israélienne à
un palestinien dont il est dabord question Keren Yedaya choisissant de nous montrer lestime amoureuse et la
tendre complicité qui relient les parents de Mali. Patron dun garage, le père
de Mali emploie son fils Meir, garçon agressif, qui supporte mal la présence
des deux ouvriers arabes : Hassan et Toufik. Or Toufik, copain davance de
Mali, est devenu dans le secret lamoureux de Mali. Une incartade qui se
termine par le décès de Meir ruine les projets de fuite de Mali et Toufik la
jeune fille est enceinte de quelques semaines et amène sa famille à
déménager.
Moins radical dans sa forme que Mon trésor, qui privilégiait longs plans-séquences et leffacement des personnages dans un cadre très construit, Jaffa séduit par la complexité de sa construction et létendue des thèmes quil aborde. Divisé en deux parties séparées par neuf années durée de lemprisonnement de Toufik avant quil nobtienne une remise de peine qui va faire resurgir le passé Jaffa livre dabord le point de vue de la famille de Mali. Une famille juive qui mêle les origines ashkénaze et séfarade, des gens plutôt de gauche, dont seul le fils Meir émet des opinions racistes que sa mère, femme autoritaire qui domine son mari malgré laffection sincère quelle lui porte, ne semble guère condamner. Le poids du silence et de lhypocrisie pèse lourd et enferme la jeune Mali dans son secret.
Nous faisons connaissance avec la famille arabe de Toufik à sa sortie de prison. Les rapports y paraissent plus francs et plus empreints damour. Les parents du jeune homme ont continué à le soutenir et réunissent frères et oncles pour son retour à la vie civile. Keren Yedaya oppose ainsi deux conceptions de la famille et montre dans la dernière partie les ravages des mensonges. Mali ne peut sempêcher de dire la vérité, qui nest plus possible à dissimuler lorsque Toufik reprend contact avec elle. Lattitude hautaine et inamovible des parents de Mali exprime en filigrane lincapacité de tout un peuple à écouter et à prendre en considération lautre. Leur tournant le dos, Keren Yedaya choisit de clore Jaffa par un beau plan fixe au bord de la mer, au centre duquel joue la petite fille de Mali et Toufik, symbole dune réconciliation possible.
Avant doffrir une perspective plus optimiste, Keren Yedaya ancre son film dans la réalité et les problèmes sociaux qui composent aujourdhui la vie en Israël. Jaffa parle aussi du racisme quotidien, de la lutte des classes et de la condition des femmes, thématique chère à la réalisatrice. Le film épouse les codes de la tragédie : amour impossible et mort, tout en les transposant dans une contemporanéité réaliste. Le registre mélodramatique associé à une esthétique qui choisit une approche tout en douceur des personnages, comme par enrobage progressif, rend Jaffa plus accessible que Mon trésor, car moins traversé de crises et dhystérie. A travers des trajectoires individuelles fortes, la cinéaste atteint une dimension politique en dénonçant les haines raciales séculaires qui peuvent les broyer et donne à voir un film subtil et sensible, servi par une interprétation impeccable.