Tu n'aimeras point
Dans un quartier de la communauté juive ultra-orthodoxe à
Jérusalem, Aaron reprend les rênes de la boucherie fermée depuis la mort de son
père. A la recherche dun employé, il embauche Ezri, jeune étudiant venu à la
ville pour y retrouver un (petit) ami. Entre les deux hommes, la relation
dabord fondée sur la protection et le respect devient de plus en plus ambiguë,
Aaron tombe amoureux de Ezri. Nous sommes ici bien loin de la modernité et de
la liberté de murs telles quelles se vivent à Tel-Aviv exposées notamment
dans The Bubble, le film de Eytan Fox
sorti en 2007. Le coin de Jérusalem qui sert de décor à Tu naimeras point semble entièrement tourné vers le passé,
cadenassé par les rites religieux qui hiérarchisent la communauté sous
lautorité du rabbin. La vie dAaron est rythmée par la fréquentation assidue
de la synagogue où il apprend le contenu et le sens du Talmud. Sa maison est
également empreinte du respect scrupuleux des lois de la Torah dans lequel sa
femme pratiquante élève leurs quatre enfants.
Pour Aaron, le désir ressenti pour Ezri est avant tout une épreuve envoyée par Dieu, qui, si elle est dépassée, lui permettra daccéder à plus de sérénité et de franchir une étape dans son apprentissage et son parcours vers la foi. Mais le désir ne se vainc ni se soumet aussi facilement et lorsque le boucher finit par succomber, il paraît paradoxalement découvrir une attirance nouvelle pour sa femme. La coexistence entre la sphère privée (larrière boutique de la boucherie qui abrite les effusions clandestines des deux hommes et la source deau à lextérieur de la ville utilisée pour la purification des âmes) et le monde public (la synagogue et lobservation stricte des principes de la religion, mais aussi la cellule familiale régie par une épouse subtile et attachée à ses prérogatives) est de moins en moins aisée. Au cur du labyrinthe des ruelles où se faufilent les longues silhouettes noires vêtues à lidentique : du chapeau au long manteau, chacun observe chacun et où le mot homosexualité nest jamais prononcé puisquelle nexiste tout simplement pas aux yeux des juifs orthodoxes, lopprobre sera jeté sur Aaron au prétexte fallacieux que la viande quil vend est impure. La présence des étudiants talmudiques est ainsi signalée dans le reflet de la vitre dune voiture passant devant le magasin. Tu naimeras point installe une ambiance de plus en plus oppressante, où les contradictions de lêtre humain sont mises en exergue. Tout amène à renoncer et à rentrer dans le rang.
Le premier film de Haim Tabakman est plutôt austère et lent. Lomniprésence de la religion son poids et ses rites peut dérouter, sinon agacer. Il nen reste pas moins vrai quil dépeint un monde replié et enfermé sur lui-même, aux coutumes particulièrement strictes et rigides, regardant davantage vers le passé que vers lavenir. Ce dont rendent bien compte une mise en scène rigoureuse et une écriture très précise. Tu naimeras point titre pertinent sonnant comme une injonction triste noffrant aucune échappatoire nest pas réellement un film sur lhomosexualité. Niée par une communauté refusant toute idée progressiste, elle sert ici de déclencheur pour Aaron qui déclare in fine au rabbin quavant, il se sentait mort et que dorénavant il vit. Cest aussi lhistoire dhommes seuls qui pourtant ne le sont jamais en totalité, assujettis et asservis aux règles coercitives du groupe.