Rien de personnel
Le dispositif du
premier film de Mathias Gokalp, qui
tient certes plus du littéraire que du cinématographique, sarc-boute sur la
répétition et le ressassement avec un rajout déléments et de personnages au
fur et à mesure de sa progression, désorientant puis finissant par captiver le
spectateur. Catalogué comme drame, présenté comme une comédie noire par son
réalisateur et scénariste, semant la perplexité au niveau dun public qui ne
parvient à choisir entre rire jaune et mine offusquée, Rien de personnel a au moins ceci de réjouissant quil est
difficile à ranger dans une catégorie définie. Il plane sur ce film un esprit
ludique et burlesque, féroce et sans pitié, dont pourrait encore se réclamer
aujourdhui lespagnol Buñuel.
Mathias Gokalp sème le
trouble dans un jeu alambiqué, jeu de pistes et de dupes, qui fait de Rien de personnel le théâtre des
illusions et des faux-semblants où chacun joue un rôle, pas forcément celui
pour lequel il était pressenti ou engagé. Les protagonistes déambulent sur un
sol dallé en noir et blanc allusion au damier et frôlent dautres collègues
presque statufiés. Eclairé par une lumière froide, grise et glauque, le film lorgne
en effet du côté de la satire et de la farce, le milieu du travail ne servant
ici que de prétexte ou de toile de fond. Rien
de personnel nest pas réellement un film sur la dégradation des relations
de travail, la pression subie par les cadres et les techniciens. Cet aspect-là
véhicule trop de charabias, trop de discours préfabriqués truffés dexpressions
toutes faites pour quil puisse du coup sinscrire dans une réalité tangible.
Rien de personnel regarde
davantage vers le pouvoir de la manipulation : aussi bien celle des
personnages entre eux (qui trompe qui, et qui est qui en définitive ?) que
celle du cinéaste vis-à-vis de son public à qui il livre par un saupoudrage
jubilatoire les clefs pour pénétrer la comédie humaine des marionnettes quil
met en scène. Sans crier au génie le début du film peut susciter incompréhension
et rejet et le film lui-même peut sembler inabouti et pas totalement maîtrisé
reconnaissons néanmoins à Mathias Gokalp
ce qui, paraît-il, fait tant défaut au cinéma national : une certaine
audace et un véritable courage. Audace de proposer une narration, non pas
novatrice, mais pour le moins inhabituelle, tenant le spectateur pour un être
intelligent faut-il rappeler ici que la notion du ressassement fonde la
littérature de Thomas Bernhard, par exemple ? et courage de le
désorienter, voire de le faire fuir.
Lapproche de Mathias Gokalp ne semble pas être très
éloignée de celle de Nicolas Klotz pour La
Question humaine. Sil natteint pas lexigence et la puissance du
long-métrage de Klotz, Rien de personnel
retient lattention par sa singularité et sa construction sophistiquée.