Fish Tank
Le rêve californien reste définitivement hors datteinte
pour Mia, une adolescente rebelle de 15 ans, fan de danse hip-hop. Son horizon,
cest son quartier de tours délabrées où lennui est devenu le lot commun des
habitants, rivés à leur poste de télé ou observant le monde sordide qui les
entoure. Sa famille se résume à une mère immature, portée sur la bouteille,
préoccupée pour lheure par Connor, son nouvel amant, et à sa petite sur, une
gamine qui joue à la grande avec les copines de son âge. Nous sommes quelque
part en Angleterre et puisque Fish Tank
prend place dans un contexte social, on pense demblée que le nouveau film de Andrea Arnold sera sans doute proche de
lunivers dun Ken Loach. Pour simpliste que soit ce raccourci, il nen est pas
moins erroné car sil fallait rechercher une quelconque référence à Fish Tank, on pencherait davantage du
côté de Rosetta (1999) dune part et
de LEffrontée (1985) dautre part.
On cite ici les Dardenne car Andrea Arnold filme, mais pas tout le temps, son héroïne dans la même urgence. Poursuivie par la caméra de la réalisatrice, Mia, qui nest pas dans une précarité matérielle identique à Rosetta, ne tient pas en place, semble fuir constamment son environnement, scolaire ou familial, pour se réfugier dans un squat où elle répète ses chorégraphies ou pour aller rendre visite à une vieille jument, attachée près dun camp de gitans. La situation de léquidé prisonnier comparée à celle de ladolescente engluée dans sa triste vie donne lieu à quelques scènes au symbolisme appuyé. Néanmoins, Fish Tank bifurque assez vite et quitte les territoires (hélas balisés et mille fois explorés) de la misère sociale pour des marges inattendues et, du coup, plus captivantes. En effet, le film opère un long développement sur les sentiments pour le moins ambigus que le beau Connor inspire à la jeune Mia. En laissant de côté, sans toutefois loblitérer totalement, laspect social, la réalisatrice de Red Road nous entraine vers les émois de ladolescence et cest en ce sens que le rapprochement avec Charlotte, lhéroïne du film de Claude Miller, paraît aller de soi. Sopère la même notion de transfert de personnalité, le même désir de vouloir fuir le monde.
Si Mia na pas de problèmes majeurs avec son corps, qui est dailleurs son point fort et linstrument idéal pour une reconnaissance sapée à la base - grâce à la danse, elle néchappe pas à faire connaissance, comme Charlotte en son temps, avec le poids de la désillusion. Car, elle a beau avoir choisi la chanson de Bobby Womack : California Dreamin pour habiller son numéro, cest la démission dune mère visiblement dépassée, puis la lubricité et la lâcheté de Connor auxquelles elle se confronte, faisant dun départ vers un ailleurs improbable la seule issue possible. Avant cette échéance implacable, Andrea Arnold nous aura offert quelques beaux moments, étranges et mystérieux, (une partie de pêche, le rapt dune petite fille) qui nenferment pas Fish Tank dans une prévisibilité annoncée. Lempathie de la réalisatrice pour Mia linconnue Katie Jarvis sen sort haut la main ne fait aucun doute, tout comme son parti pris de ne pas juger ses personnages.
Déjà primée à Cannes en 2006 pour Red Road, qui entremêlait dans un mélange étonnant et déconcertant, proche du conceptuel nexcluant pas une certaine froideur, lintime et le social, Andrea Arnold reçoit à nouveau trois ans après le Prix du Jury. Sans être révolutionnaire, la cinéaste apporte cependant, en sachant emprunter des voies inhabituelles, une contribution intéressante et chaleureuse à la grande tradition des films britanniques, réalistes et sociaux.