Whatever Works
Nous ne faisons pas partie des spectateurs convaincus par
les derniers longs-métrages de Woody
Allen, considérant que son escapade européenne Angleterre et Espagne na
rien ajouté à une carrière déjà bien remplie, dont il est de plus en plus avéré
que les meilleurs moments sont désormais connus ; le réalisateur de Manhattan au bout dune bonne
quarantaine de films ne parvenant plus guère à se renouveler, explorant jusquà
en extraire le dernier jus, bavard et humoristique, ses sempiternelles
obsessions que Big Apple, plus que toute autre métropole au monde, semble être
la mieux placée à canaliser. Cest pourquoi faut-il se réjouir du retour au
bercail de Woody Allen, qui exhume
pour loccasion un scénario vieux de trente ans, faute davoir trouvé linterprète
idéal nayant pas à priori envisagé dendosser le costume de Boris
Yellnikoff, pourtant taillé sur mesure pour celui qui composa en 2006 le
magicien cabot de Scoop.
Boris est un vieux misanthrope qui a à peu près tout raté dans sa vie : son mariage, son cursus professionnel qui ne lui permit jamais lobtention rêvée du prix Nobel de physique, et pas davantage son suicide. Vivant seul dans un appartement miteux, il voit de temps à autre des copains bien indulgents à supporter déternelles récriminations. Cest dire si la rencontre fortuite avec Melody, jeune fugueuse provinciale, ne le réjouit pas demblée, dautant plus que celle-ci sinstalle à demeure. La suite est assez prévisible, émaillée de multiples rebondissements paraissant de plus en plus invraisemblables. Mais le réalisateur de Vicky Cristina Barcelona na pas lair de se préoccuper de la grosseur des ficelles quil tire, ni du caractère extrêmement angélique, presque bêtifiant, des développements de son histoire. Lappartement de Boris se transforme petit à petit en une scène de théâtre sur laquelle surgissent, tels des diables échappés de leur boite, de nouveaux personnages dont le destin à leur tour va emprunter de nouveaux et inattendus chemins. Cest à lapologie du hasard et des possibilités contenues dans toute rencontre, même initiée sous les pires auspices, que se livre Woody Allen. Dont Boris Yellnikoff est évidemment le double patenté. Ecrit en pleine force de lâge, il est curieux de constater comment la vieillesse interpelle déjà le cinéaste, qui fait preuve ici dun goût manifeste et jubilatoire pour lautodérision et nhésite pas à brocarder le milieu intellectuel et artistique, allant même lancer une petite pique à la France.
Plus que dans les opus européens, nous renouons avec la patte des dialogues à la Woody Allen, cinglants et percutants, à lhumour dévastateur. Peut-être émettrons-nous quelques réserves sur le dispositif mis en place, consistant à faire parler Larry David, comédien qui anime son propre show sur la chaine HBO et qui interprète Boris, face à la caméra. Loin des stars internationales des précédents films, les acteurs se révèlent pourtant à la hauteur, avec mention spéciale à Patricia Clarkson, campant une mère plutôt azimutée.
Alors que nous sentions poindre dans les derniers films une véritable mélancolie teintée de résignation, Whatever Works exhale au contraire un parfum doptimisme et de gaieté. Constat en arrière-plan de lAmérique actuelle, que Woody Allen fait mine de redécouvrir après son absence en attestant des changements survenus (élection dObama bien sûr), le film prône une énergie volontariste, exhortant chacun à saisir sa chance, à prendre son destin en mains, sauvant du coup lensemble des personnages réunis au final pour une sympathique photo de groupe, qui pourrait juste précéder la révérence finale.
La sortie de Whatever Works en été nest sans doute pas innocente, tant cette comédie farfelue et légère, virevoltante et malicieuse, permet de passer un bon moment sans ennui ni déplaisir. Juste les esprits grincheux dont on confesse faire partie trouveront-ils dans la dernière livraison du réalisateur du Rêve de Cassandre beaucoup de redites et dautocitations. Avec une prise de risques limitée et limpression de retrouver un territoire, au sens large, très balisé. Résultat juste acceptable pour celui qui demeure, dans nos curs, comme un des plus grands cinéastes contemporains.