Goodbye Solo
Dorigine iranienne, Ramin
Bahrani est né en 1975 en Caroline du Nord et signe avec Goodbye Solo son deuxième long-métrage. Chop Shop, son premier, prenait place
dans le Queens et mettait en scène un jeune portoricain, récupérant et vendant
des pièces détachées de voitures. Au sein du quartier le plus défavorisé de New
York, le jeune réalisateur, sans misérabilisme et avec une énergie
volontariste, mêlait astucieusement documentaire et fiction dans une uvre sinterrogeant
en creux sur la situation de létranger en Amérique, sur létat actuel du
fameux rêve américain, prônant lidée du self made man et du tout est possible.
En regagnant sa Caroline natale pour en faire le décor de son nouveau film, Ramin Bahrani continue à explorer ses thèmes favoris et à investir des territoires que le cinéma ne visite jamais. Mais le volontarisme à tout prix va devoir progressivement compter avec lirruption du pessimisme et de la désillusion et le film envisage que le rêve fondateur puisse seffriter. Un rêve auquel saccroche Solo, chauffeur de taxi dorigine sénégalaise, à la bonne humeur communicative, à lénergie débordante, qui bosse dur la préparation de lexamen pour devenir steward le film exagère probablement loptimisme sans limites de son héros. Lorsque le vieux William devient son client et lui propose un petit pactole pour le conduire dans quelques jours au sommet de Blowing Rock, le point de vue de Solo, son rapport au monde et ses certitudes vacillent. Bavard, plein de sollicitude, Solo veut percer les secrets du vieil homme en espérant bien le faire changer davis et lui faire retrouver lespoir de vivre. On comprend bien en quoi refuser la résignation est fondamental pour le jeune chauffeur, tout comme se battre et survivre pour trouver et garder sa place étaient le credo des jeunes héros de Chop shop.
On rentre frontalement dans Goodbye Solo : William est à larrière du taxi de Solo et lui met en main létrange marché. Maladie ou dégoût de la vie, quimporte la raison qui motive William à clôturer ses comptes, mettre de lordre dans ses maigres affaires. Pour Solo le battant et loptimiste, cela est tout bonnement inacceptable et froisse ses croyances. Dans un premier temps, Goodbye Solo épouse la vitalité exubérante et la faconde débordante du chauffeur de taxi qui entraine William, un amateur de rock et de country, dans ses virées nocturnes, auxquelles ce dernier semble prendre un vrai plaisir. Petit à petit, le film bascule dans la gravité et la prise de conscience : ses démêlés sentimentaux et léchec à lexamen ébranlent Solo, qui finit par réviser son jugement sur la décision du vieux William.
Goodbye Solo nous saisit par la simplicité de son dispositif, la sensibilité pudique qui le traverse, mais aussi par la puissance magnétique du jeu de Souleymane Sy Savane, qui interprète Solo. A nouveau, Ramin Bahrani bannit misérabilisme et apitoiement et traite avec infiniment de tact et de grâce lultime partie de son film, dont lesthétique et la force poétique ne sont pas sans évoquer le cinéma asiatique. Blowing Rock, endroit magique capté dans les couleurs flamboyantes de lautomne, est entouré dune belle légende : les vents y sont tellement forts et ascensionnels que le moindre objet jeté est aspiré et senvole. On ne peut imaginer plus émouvante métaphore pour figurer la disparition, qui sapparente ici davantage à lévaporation, dun être humain.
De plus en plus rare en paroles, mais de plus en plus intense dans léchange des regards, Goodbye Solo donne à voir ces sentiments rares et nobles que sont la compassion et la bonté dâme. Une attention à lautre qui est intrinsèquement liée à la culture originelle de Solo, et que celle représentée par William si peu dupe quil préfère tourner la page na cessé de bafouer. Entre les deux hommes, une transmission sopère, comme un passage de témoins, qui transforme Solo et va en faire un autre homme.