Girlfriend Experience
La capacité de Steven
Soderbergh à parsemer son uvre globalement composée de grosses machineries
hollywoodiennes, dont la série des Oceans
xx en est la plus belle illustration, de petits films expérimentaux nous
rend toujours curieux de découvrir la part créative, lenvers du décor en
quelque sorte, de celui qui obtint, à peine âgé de 26 ans, une Palme dor à
Cannes pour Sexe, mensonges et vidéo.
Comme Bubble nous avait épatés en 2006
par son formalisme confinant au minimalisme au service dune histoire qui
relevait aussi bien de létude sociologique que du polar intimiste, Girlfriend Experience, optant une fois
encore pour un format court, excite nos sens et notre curiosité.
Une excitation pas uniquement provoquée par lhéroïne du film, Chelsea, call-girl de luxe, escortant de la table au lit de riches hommes daffaires vacillant soudain sous les coups de boutoir infligés par la crise économique. En effet, Girlfriend Experience est entièrement traversé des effets et des dommages provoqués par leffondrement du système bancaire qui précède de quelques mois lélection du nouveau président américain. La prostituée de luxe reçoit ainsi les confidences et partage les atermoiements dhommes de pouvoir prêts à basculer dans la faillite ou la débâcle. Cependant, le film nest pas quune auscultation minutieuse, par le prisme étrange de lactivité très lucrative dune escort-girl, des ravages de la crise et de lomnipuissance de léconomie ; il dresse aussi le portrait de Chelsea, une fille racée et élégante, qui semble vouloir se contrôler en permanence et gérer tous les aléas de la vie, y compris la relation presque surréaliste quelle entretient avec Chris, un coach sportif qui est aussi son petit ami, parfaitement au courant de son job.
Loriginalité de Girlfriend Experience, et de fait sa grande réussite, réside pour lessentiel dans sa construction en forme de puzzle savant, charge au spectateur, enfin considéré comme vigilant et intelligent, den reconstituer le motif final. Le film privilégie la conversation, aussi bien autour des tables des restaurants new-yorkais à la mode (clients, « collègue » de Chelsea ou journaliste) quau sein de lappartement luxueux de la call-girl, le contenu des échanges reposant sur des événements qui ne seront exposés que par la suite. Dans la citation de noms liés à la mode Chelsea détaille par le menu ses toilettes à chaque nouvelle rencontre et dans la fréquentation des endroits les plus huppés de la ville, on pense souvent à Patrick Bateman, le golden boy psychopathe de American Psycho (Bret Easton Ellis en 1991) confronté lui aussi au krach boursier. Là sarrête néanmoins la comparaison, puisque Chelsea ne tue ni torture personne.
En nous faisant pénétrer un monde inconnu, presque fantasmé, celui de la haute finance et de la prostitution de luxe, le réalisateur du bioipc décevant sur le Che nous dépeint un monde également déshumanisé et constamment sous contrôle, où lirrespect des règles peut avoir des conséquences fâcheuses. Girlfriend Experience devient un film kaléidoscopique de plus en plus envoûtant, à lattractivité venimeuse et fascinante. Enfin, Steven Soderbergh saffranchit totalement de laspect subversif et provocateur à confier à Sasha Grey, actrice porno, le rôle principal quelle endosse avec la distance et la classe appropriées.